PEUT-ON COACHER DES PERSONNALITÉS DITES DIFFICILES
La personnalité d’une personne est ce qui la rend unique car nous possédons tous une manière singulière de manifester nos émotions et sensations, nos besoins et nos désirs, nos plaisirs et nos insatisfactions. En somme, la « personnalité » est la somme des caractéristiques psychologiques et comportementales qui nous rendent absolument différents les uns des autres. Ainsi, quand une personne est désignée comme « manquant de personnalité, il faut entendre qu’elle ne se différencie pas (ou très peu) de ses semblables.
Pour la nosographie (la classification des troubles du comportement), ces traits de caractère possèdent une connotation spécifique qui se définira de manières différentes selon la grille de lecture à laquelle nous ferons appel : lecture psychanalytique (la personne est un tout qui ne peut être enfermé dans un modèle), lecture associant psychanalyse et psychiatrie avec la notion de « structures psychiques » (hystérie, organisation obsessionnelle), lecture psychiatrique du DSM V avec la notion de comportements (l’addiction, par exemple). Dans tous les cas, il s’agit de définir un modèle complexe de caractéristiques psychiques, pour la plupart inconscientes, qui apparaissent de manière automatique dans la plupart des attitudes de la vie et se modifient rarement par le seul effet de la volonté.
L’INNÉ ET L’ACQUIS
Ces caractéristiques sont à la fois innées et acquises. Elles dépendent de notre héritage génétique, de notre histoire familiale, de notre vie avec ses aléas, les décisions que nous prenons, les choix d’existence, les conduites et les habitudes qui ont balisé toute notre histoire. C’est la raison pour laquelle nous avons en principe tendance à nous comporter fréquemment de la même vis à vis d’une situation donnée.
Amélie est une personne ouverte et tolérante qui a vécu au sein d’une famille pluriethnique. Son père était Sénégalais et musulman tandis que sa mère, originaire de Belgique, est une libre penseuse, athée. Pourtant, les deux parents sont resté unis dans un couple pour qui la valeur de base, incontournable, était la laïcité. Le religieux étant relégué dans l’espace privé. Amélie est aujourd’hui éducatrice dans un foyer de la Protection Judiciaire de la Jeunesse qui accueille des ados en difficulté avec la justice. Elle a eu la chance de choisir le métier qu’elle exerce sans pression parentale. Son éducation lui confère donc une grande ouverture aux autres et à la multiplicité de leurs croyances.
Ce n’est pas le cas d’un de ses collègues, Hamed, issu d’une famille algériennequi a du se battre pour s’intégrer, obtenir la nationalité française. Du coup, malgré son activité éducative, la nécessité de s’adapter à un public fragile, il a du mal à ne pas s’instituer en figure d’autorité se posant - souvent de manière excessive - en représentant d’une intégration réussie respectueuse de la Loi et de ses règles.
Pour Antonio, ce qui prévaut est de se méfier de tout et de rien. Son crédo : « On ne peut faire confiance à personne ». Il a été élevé dans une fratrie nombreuse où il était d’usage de faire bloc, de se replier sur les usages familiaux, les rythmes et les valeurs du groupe car la famille, d’origine portugaise, a eu du mal à s’insérer, les parents à trouver du travail, un logement décent. Tout le monde s’en est, peu ou prou, bien sorti. Cependant, les uns et les autres conservent un sentiment de défiance devant « l’étranger » car ils se sentent encore eux-mêmes plus ou moins étrangers.
Michel est chef d’équipe dans une grosse entreprise de BTP. Il assure l’encadrement d’hommes de terrain : maçons, couvreurs formés à des métiers durs et traditionnellement « virils ». Il considère donc que sa façon de les manager doit s’adapter à cette tradition. Il est très autoritaire et facilement cassant. Il dit : « Avec eux, mieux vaut pointer ce qui ne va pas que le contraire, ce ne sont pas des femmelettes ». Précision : quand il les admoneste, il s’en prend plutôt à l’individu qu’à la tâche quand il la juge insuffisante. Il dira : « Comme d’habitude tu ne sais toujours pas travailler » plutôt que « Il faudrait refaire cette soudure ».
TOUS DÉPENDANTS DE NOTRE HISTOIRE FAMILIALE
Nous ne sommes jamais complètement « libres ». Notre histoire familiale impacte notre histoire tout court. La manière dont nos parents envisageait l’existence, leurs manières de reconnaître ou non ce que nous faisions, leurs critiques exercent une influence sur la façon dont, aujourd’hui, nous réagissons avec les autres. Il faut donc beaucoup de courage pour reconnaître ses limites, accepter de s’investiguer, s’engager dans une démarche de changement quand on a l’impression d’être le meilleur, de tout savoir, lorsqu’on n’admet pas la moindre faiblesse chez les autres.
Parlant des personnalités dysfonctionnelles, nous nous sommes bornés à évoquer celles que les médias ont coutume de désigner sous le nom de « pervers narcissiques ». Selon la grille de lecture employée, il s’agira de « structures psychiques » ou de « troubles de la personnalité ». Cela signifie la même chose ou à peu près. Nombre de ces sujets possèdent une très grande sensibilité à la frustration, à l’échec, à la réprobation, aux critiques. Ils possèdent aussi un sens aigu de leurs droits, des droits qu’ils vivent de manière égocentrée, c’est-à-dire aménagés en fonction de leurs propres désirs et besoins, des droits qu’ils revendiquent avec force comme étant l’expression même de ce qui « universellement » juste. N’importe quel événement susceptible de les confronter peut déclencher une réponse inadaptée : colère, critiques acerbes, débordements verbaux, voire physiques. Ces personnes peuvent encore se montrer exigeantes, agressives mais aussi manipulatrices. On peut aussi fréquemment noter des addictions : au travail, au sport, aux écrans, à certains produits.
POURQUOI CERTAINS D’ENTRE NOUS DYSFONCTIONNENT-ILS ?
C’est le plus souvent une éducation familiale axée sur l’entière satisfaction des besoins et des désirs de l’enfant qui est en jeu. « L’enfant roi », celui qui est « tout » pour ses parents, celui à qui on n’impose peu ou pas de limites, celui dont on loue perpétuellement les qualités et les progrès, à qui on donne ce qu’il réclame immédiatement, peut devenir une personnalité difficile une fois devenu grand. Comme il n’a pas intégré l’idée qu’il existe une limite à ses envies, il se conduit comme un dictateur. Il veut tout et tout de suite. Il ne s’embarrasse pas de précautions verbales pour donner son avis, faire une critique.
Mais ce peut être aussi un enfant qui n’a pas suffisamment compté aux yeux des siens. Enfant solitaire, abandonné à lui-même, enfant « parentifié » dont on ne reconnaissait pas le statut d’enfant en lui confiant des tâches ou en lui faisant des confidences inadaptées à son âge. Une fois adulte, il a le sentiment qu’il doit se comporter avec les autres tel que l’on s’est comporté avec lui-même. On ne lui a pas fait de cadeaux, il n’en fera pas non plus. Comme il a bétonné ses émotions afin de supporter le manque d’attention dont il était l’objet, il voit et gère les autres comme lui-même a été traité : pas de sentiments, peu d’empathie, il faut « être fort », « tenir le coup ». Ce faisant, il a l’impression d’être dans le juste car il transmet - inconsciemment - ce qui l’a nourri autrefois.
METTRE EN PLACE UN ACCOMPAGNEMENT AJUSTÉ
Pour aider ces personnes à prendre conscience qu’il existe autour d’elles toutes sortes d’individus qui ne fonctionnement pas de la même manière, pour développer leur écoute et, ce faisant, leur empathie et leur compassion, le coach, le thérapeute va devoir les faire surtout travailler sur des situations concrètes. Dans un premier temps, il leur est difficile de revenir sur leur histoire infantile car ils en ont complètement intégré les modalités. Ils ne la remettent pas en question… ou pas facilement car leur narcissisme, leur identité est fragile. Douter de ce qu’ils ont acquis, c’est douter d’eux-mêmes, de la validité de leur Moi, de leur construction psychique intime, essentielle. Une approche théorique et pédagogique plutôt qu’un approche traditionnelle, fondée habituellement sur l’anamnèse (racontez moi votre histoire familiale) est nécessaire. Il s’agit de leur demander de raconter des situations précises - au bureau, à la maison, en couple, avec les enfants - et de pointer la manière, souvent inappropriée (critiques impitoyables, considérations ironiques, moqueries, rigidité…) avec laquelle ils communiquent : « Tu ne m’écoutes jamais » , « Si tu ne te reprends pas, tu ne t’en sortiras pas ». Ce sont les champions des « scuds », ces petites phrases assassines qui déstabilisent et font souffrir leurs interlocuteurs. Les champions aussi de ce qu’on nomme les « quantificateurs universels » en sémantique : jamais, toujours, à chaque fois…Des termes évidemment erronés puisqu’il est peu probable qu’une personne, avec laquelle nous sommes en relation régulière, ne nous écoute jamais.
DES OUTILS POUR LES AIDER À MODIFIER LA COMMUNICATION
Le propre de l’être humain est de se construire en très grande partie à travers le langage. Tout-petits nous sommes plongés dans un bain verbal qui va nous mettre en relation avec le monde, contribuer à l’édification de notre personnalité ; ceci de manière psychique, comportementale mais aussi neurologique. Or la grande découverte des neurosciences de ces dernières années, c’est la neuroplasticité. La capacité du cerveau à créer, défaire ou réorganiser - tout au long de l’existence - nos réseaux de neurones et les connexions synaptiques qui permettent à ceux-ci de communiquer entre eux et ce grâce aux apprentissages. Or un coaching, une psychothérapie, constitue un apprentissage qui aura des effets sur le comportement ultérieur d’un individu.
La plupart du temps, les personnalités dysfonctionnelles réagissent de manière excessive au stress et c’est, précisément, en état de stress que leur comportement s’avérera le plus difficile vis à vis des autres. Leur apprendre à gérer ce stress constitue donc un des points essentiels de leur accompagnement. Pour ce faire, il est indispensable de leur expliquer le schéma du stress, ses interactions corps/esprit et comment chacun de nous, face à une situation stressante, va d’abord ressentir dans son corps (son système sensoriel) puis émotionnellement (son système limbique) et enfin dans la pensée et/ou la parole ce qu’il vient de ressentir (son cortex cérébral). Or là, le praticien doit travailler justement sur la réaction et la parole qui sont émises. Comment émettre une insatisfaction, une contrariété, du dépit mais de manière assertive en désignant ce qui ne va pas (la nature d’une relation, la défaillance d’un dossier) et non pas en s’attaquant à la personne : si un dossier est mauvais, ce n’est pas la personne qui l’a réalisé qui est mauvaise !Nous utilisons aussi des techniques antistress comme la relaxation, la pleine conscience, tous les outils qui permettent d’apprivoiser ses émotions grâce à la respiration.
QUESTIONS PRATIQUES
Aujourd’hui, nous commençons à posséder une expérience significative de l’accompagnement de ces personnes. Nombre d’entre elles, parce qu’elles ont compris comment elles fonctionnaient et ce qui les faisaient réagir ainsi, parviennent maintenant à se contrôler. Il leur arrive encore de « déraper » mais de manière atténuée. En outre, et ce n’est pas la moindre des choses, elles sont capables de s’excuser en cas de débordement. Alors qu’auparavant, elles avaient le sentiment d’être toujours dans le juste et le vrai.
Nous avons mis en place des stages de 1 à 2 jours, en petits groupes, qui permettent de travailler sur soi en découvrant que la bienveillance, la gentillesse, l’écoute, constituent de puissants moteurs de mieux-être pour soi comme pour les autres. Ils sont destinés aux particuliers comme aux entreprises. Dans le cadre de l’entreprise, ils peuvent aussi se réaliser sous la forme d’une journée d’initiation destinée à mieux comprendre son fonctionnement et celui de ses collaborateurs.
Nous avons également prévu des accompagnements individuels sous forme de coachings.
Luce Janin Devillars