Nos bonnes résolutions


Nos bonnes résolutions

ARRETER DE RÂLER, NE PLUS TOUCHER AUX FRITES, PASSER AU VÉLO ? AUTANT DE BONNES RESOLUTIONS QU'ON NE TIENDRA PAS. ET C'EST BON COMME ÇA. DECRYPTAGE.
PAR PATRICK WILLIAMS


Ah, le joli mois de janvier et sa cohorte de bonnes résolutions ! Bonnes résolutions qui se révèlent souvent impossibles à tenir...Au bout de quelque temps, dépité, on s'aperçoit qu'on n'arrive pas à suivre son régime, à arrêter de fumer ou à faire davantage de sport— le top 3 des objectifs les plus répandus, paraît-il. « Seulement 10 %des résolutions prises sont réellement tenues », explique le pédopsychiatre Stéphane Clerget*. Un bien triste bilan... Cette incapacité à mettre en œuvre nos objectifs ne concerne pas que le début d'année. Plus généralement, dans la vie, nous avons souvent du mal à accorder nos actes avec nos discours. Qui n'a répété cent fois qu'il allait changer d'existence, trouver un nouveau job, adopter un comportement écolo, devenir un citoyen impliqué, sans jamais y arriver ? Rassurez-vous. Ni les plus forts ni les plus doués d'entre nous n'y échappent. Ainsi un livre passionnant vient de sortir, «Le Génie du mensonge », de François Noudelmann (éd. Max Milo), qui montre que les grands philosophes, ces puits de sagesse, ces adeptes intransigeants de la vérité ont bien souvent vécu en totale contradiction avec leurs idées. Jean-Jacques Rousseau écrit d'un côté un admirable traité sur l'éducation, « Emile », et de l'autre abandonne ses enfants. Jean-Paul Sartre prône l'engagement politique le plus ferme, le plus radical, alors qu'il a été un résistant plus que discret durant la Seconde Guerre mondiale... Bref, nous sommes tous des êtres infiniment paradoxaux, assénant nos convictions en tapant du poing sur la table... et ne faisant rien à l'arrivée. Cerise sur le gâteau de nos petites défaites : cette impuissance nous mine. Incapables de réaliser nos projets, nous nous considérons comme lâches, incohérents, manquant de volonté. Mais est-ce vraiment si grave que cela ? Et pourquoi tant de flemme ? Réponses en trois questions.

1. POURQUOI N'ARRIVE-T-ON PAS À CHANGER ?

Qu'il s'agisse des résolutions de début d'année ou des grands projets de vie, les psys et les coachs sont formels : nous nous fixons trop d'objectifs, en plaçant la barre trop haut et en méconnaissant les obstacles qui se trouvent sur notre chemin. « Dans le cas des résolutions pour la nouvelle année, certains pensent que, sous prétexte d'un début de cycle, les choses vont se métamorphoser de façon magique, par miracle. Il suffirait en quelque sorte de le déclarer, explique Stéphane Clerget. C'est une pensée incantatoire, qui nie la réalité. » Ah ! la réalité ! La voilà, la coupable, la gueuse, qui nous met des bâtons dans les roues. Comment se préparer pour courir le marathon de New York quand on travaille toute l'année comme un forcené ? Comment imaginer qu'on va virer au sans gluten quand on passe le plus clair de ses soirées à s'envoyer verres de vin blanc et assiettes de jambon bellota avec les copines ? «Je reçois de plus en plus de gens animés par des projets de changement radical, note Luce Janin Devillars, psychanalyste et coach, auteure de "Changer sa vie" (éd. Pocket). A chaque fois, je leur pose les mêmes questions :à quoi vous faudra-t-il renoncer pour prendre ce tournant ? Etes-vous prêt à en payer le prix ?» Bref, à bien y réfléchir, êtes-vous sûr de vouloir vous plonger dans le Dalloz tous les soirs, au détriment de temps avec vos enfants, pour décrocher ce boulot de juriste dont vous rêvez tant ? Ou passer toutes vos vacances sur ce manuscrit que vous devez finir depuis dix ans en vue de devenir un auteur à succès ? That is the question.

2. PENSEZ-VOUS CE QUE VOUS DITES ?

L'autre raison qui nous empêche bien souvent de changer c'est que nous ne souhaitons pas réellement changer. « Il faut faire sans cesse la différence entre le désir réel d'un individu et ce qui n'est qu'une idée venue d'ailleurs, de l'entourage, des médias », reprend Stéphane Clerget. Dans bien des cas, en effet, nous avons l'impression d'avoir des idées claires. Et l'on s'en veut de manquer de volonté pour les mettre en application. Mais si nous restons velléitaires, c'est bien souvent qu'en fait nos idées sont confuses. Comme le dit le philosophe Balthasar Thomass, dans son livre « Etre heureux avec Spinoza » (éd. Eyrolles) : « L'idée vraie, l'idée claire et distincte engage à agir, elle entraîne nécessairement l'action adéquate. L'idée confuse, au contraire, [...] nous laisse impuissants... » Le tabacologue Robert Molimard l'a prouvé : ce n'est pas parce qu'elles manquent de volonté que certaines personnes n'arrivent pas à se sevrer du tabac, c'est parce que l'idée de l'arrêt n'a pas suffisamment mûri en elles. L'été prochain, quand pour la énième fois vous n'arriverez pas à organiser des vacances avec des amis trop sympas, posez-vous la question : êtes-vous certain, au fond, que vous trouviez si cool de partir en vacances avec des amis ? Et quand vous ne réussirez pas, cet hiver, à aller au marché bio toutes les semaines, comme promis, pour éviter la malbouffe de la grande distribution, au lieu de vous insulter sans pitié, interrogez-vous : pensez-vous réellement, sincèrement, que la nourriture vendue au Franprix soit un poison ? Il se peut que non...

3. EST-CE SI GRAVE DE NE PAS FAIRE CE QU'ON DIT ?

Ne pas être en accord avec soi-même est le grand péché moderne. Quoi, Norah, qui critique tout le temps la DRH et le grand capital, n'arrive toujours pas à quitter son emploi de bureau ? Hein, Ivan, qui nous assomme depuis toujours avec ses problèmes conjugaux, se montre incapable de rompre avec son cerbère de femme ? Les personnes en contradiction avec elles-mêmes souffrent souvent de culpabilité, d'autodénigrement. Elles se sentent clivées. « Quand donc arriverai-je enfin à passer à trois séances de yoga par semaine ? » hurlons-nous en brandissant nos poings vers le ciel et vers la salle de gym. Normal. « Nous vivons une époque, confirme le philosophe François Noudelmann, où il nous paraît essentiel d'être authentique, transparent à soi-même, limpide. C'est un vrai diktat...»
À l'heure de la civilisation du « just do it », réaliser ses objectifs est le mantra absolu, tant professionnel que personnel. D'où un malaise certain quand nous n'y arrivons pas. Et pourtant, faut-il vraiment battre sa coulpe ? « Il est normal de ne pas toujours faire ce que l'on dit, d'énoncer des désirs, des idéaux sans forcément les réaliser, commente Luce Janin Devillars. Nous avons tous besoin de rêver, d'une dynamique fantasmatique, qui fait qu'on se sent vivant. Par exemple, une personne va éprouver le besoin d'imaginer qu'elle va devenir vegan, même si elle n'y arrive pas. Cela nous permet d'avancer. Les gens vraiment déprimés ne rêvent plus à rien, ne forment plus aucun projet. » Parler sans agir ne serait qu'une vieille loi humaine, qui a toujours existé, une manière de jouer avec le langage pour relativiser nos frustrations. Construire des châteaux en Espagne, blablater, c'est aussi une façon d'aller bien, de se donner du tonus. Comme le dit François Noudelmann :
« Nous n'avons pas le même rapport avec le discours et avec les actes. Dans le discours, on truque, on triche un peu pour pouvoir se regarder dans la glace et regarder les autres. C'est une manière de s'inventer dans les paroles, de construire ce qu'on voudrait être, une fiction agréable et vraiment nécessaire. Les résolutions ne sont peut-être pas forcément faites pour être tenues. Elles constituent plutôt un horizon, un dépassement de soi, qui est vital dans notre fonctionnement. Après tout, ce qu'on n'a pas réalisé fait aussi partie de nous. » Dès lors, ceux qui parlent beaucoup mais agissent peu sont peut-être des sages... Heureux soient les gens qui ne font pas ce qu'ils disent! ■

* Auteur des « Kilos émotionnels : comment s'en libérer » (éd. Le Livre de Poche).



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